Et puis, j'ai eu 13 ans.
Des contes de fées et des jeux d'enfants, je suis passée à la triste réalité qui touche les femmes. Un rite de passage répugnant.
Et puis, j’avais 13 ans.
L’autre jour, une maman raconte une anecdote traumatisante est arrivée à sa fille de 13 ans. Une dame est intervenue. Mais j’ai directement pensé à mes nièces, dont une qui a soufflé ses 10 ans.
Évidemment, ma première pensée a été de l’empathie pour la jeune fille, de la colère et du dégoût envers cet homme. Puis rapidement une sensation amère avec cette pensée qui ne devrait plus exister : « il fallait que cela arrive ». Comme si cela était un passage obligé pour toutes les jeunes filles auquel il faut s’habituer. Parfois le défaitisme peut même devenir plus fort à cause des discours masculinistes, de cette mode de la « tradwife » mise en avant. Les dark romance s’invitent même parfois dans les cours de récré du collège.
Ce moment désagréable qu’elle rencontrera (trop) jeune n’est pas sa première fois, mais la première fois qu’on vous renvoie votre corps comme un bout de viande. J’avais 13 ans, j’étais une gamine qui se mettait du Stabilo sur les ongles pendant un cours ennuyeux. Je jouais parfois aux poupées avec ma sœur de 8 ans, et je me souviens parfaitement de cet homme qui passe à côté de moi en voiture alors que je rentre du collège.
Je me souviens que je comprends sans saisir ses mots crus dits sur un ton étrange, un rire gênant, le malaise, son regard qui n’a rien de protecteur. Il a maximum 30 ans, et il me fait comprendre que je suis une friandise pour lui. C’est assez important pour lui pour ralentir, rester à ma hauteur et me dire des choses que je ne devrais pas encore attendre, pas sans que je l’aie décidé. Il a l’âge que j’ai aujourd’hui, et il est celui qui frontalement, sans que je ne le connaisse, sans que je lui demande quoi que ce soit, me confronte à ce corps qui devient le mien avec l’adolescence et que je vois changer. Cela fait presque 20 ans que cela s’est passé et je m’en souviens encore. Je vois sa voiture, je le vois encore lui, qui a désormais la soixantaine quelque part, et qui ne sait pas que moi, je me souviens de qui il était précisément ce jour-là. Une première fois douloureuse.
À 13 ans, j’ai fait un smack maladroit à un garçon. À 13 ans, j’entends les remarques qui se font sexistes de plus en plus, ou les rires moqueurs de mes camarades masculins qui découvrent ces images pornographiques, sans vraiment y saisir quelque chose en réalité. À 13 ans, on est sous le charme de stars, d’une image idéale avec laquelle on passera sa vie. À 13 ans, on a des coups de cœur. À 13 ans, on pleure parfois pour sa première peine de cœur. À 13 ans, on ne sait pas ce que l’on veut faire dans la vie. À 13 ans, on ne sait pas remplir une feuille d’impôt, la gestion d’un foyer. À 13 ans, on ne sait encore rien de la vie. À 13 ans, on fait des chorées dans sa chambre, on se prend pour une star, et on fait des concerts avec sa brosse à cheveux dans la main. À 13 ans, on pense tout savoir, car c’est le charme de l’adolescence. À 13 ans, on passe des heures sur Internet, les réseaux sociaux, à écouter de la musique bien trop forte. À 13 ans, on joue encore aux jeux avec les plus petits pour leur faire plaisir (bon un peu parce que cela nous plaît aussi, mais il ne faut pas le dire trop fort). À 13 ans, on cherche qui l’on est, qui l’on sera et le futur reste quelque chose de flou. À 13 ans, on se révolte aussi. À 13 ans, on nous prend pour des grand(e)s, tout en étant dans cette ambivalence de l’enfance sur d’autres points. À 13 ans, on est un enfant. À 13 ans, j’étais une enfant.
À 13 ans, j’ai été confronté au dégueulasse. Il n’a pas pris ma virginité, mais mon innocence, ma naïveté d’enfant, car après, oui il y a eu un après. Cette confrontation avec ce monde adulte, avec cette société qui fait de moi « une chose » pour certains. Lorsque je suis rentrée chez moi, je n’en ai pas parlé à mes parents. Déjà cette sensation que j’étais en faute alors que ce n’est pas moi qui ai été grossière, moi, j’ai été silencieuse. Je ne me souviens pas en avoir parlé à ma sœur qui a deux ans de moins, sûrement pour la protéger aussi, la laisser profiter de cette naïveté d’enfant à laquelle elle avait le droit.
Mais j’en ai parlé à des copines le lendemain, et force est de constater que certaines commençaient aussi à être confronté à cela. L’une ne voulait plus rentrer chez elle trop tôt, se faisant siffler ou insulter par des ouvriers sur un chantier près de chez elle. Une autre avait été insultée par des lycéens quand elle avait avancé sans leur parler. En revanche, les copains n’avaient pas ce souci, compatissaient, mais ressentant distants et cela s’explique : la gêne ressentie restait muette. Il faut le vivre pour connaître cette sensation qui n’est pas qu’un mauvais moment, mais est aussi physique. Le constat était là, et l’absence de réponse aussi. On va devoir faire avec et j’ai fait avec. Je fais avec. Et je me trouve chanceuse, car je sais que certaines font face au racisme bien plus jeune.
Il y a encore peu, je me suis faite insultée, car je n’ai pas dit « merci » à un homme qui me disait des trucs salasses alors que je promenais mon chien, là encore sans rien lui demander, sans même l’avoir regardé. Un « bonjour » aurait été plus sympathique s’il voulait dire un truc à une inconnue qu’il ne recroisera sûrement plus. Il a visiblement trouvé cela important de me dire cela, lui aussi, de prendre le temps de me sortir cela peut-être que j’étais une case à cocher sur sa To-Do du jour. Peut-être que cela était le seul moment qui lui restait avant peut-être d’aller chercher son enfant à l’école juste à côté. De retrouver sa copine, sa femme après une journée de travail peut être compliquée. Oui, c’est du harcèlement de rue et cela est désormais puni.
Dans la plupart de ces situations, si cela en reste à des mots, personne n’est venu me soutenir, personne ne dit jamais rien. Je n’ai aussi sûrement rien dit parfois, pour soutenir les autres, tout en observant quand même si cela dégénère. Plus que savoir que cela est puni (et c’est déjà bien même si les chiffres montrent que cela n’est pas assez), je souhaite aller plus loin dans ma réflexion dans cette newsletter : « comment cela se fait que cela existe encore ? »
Pourquoi est-ce que cela existe encore ?
Pourquoi aujourd’hui des jeunes filles vont encore se faire embêter de la sorte ? Pourquoi sont-elles obligées d’user de tactiques pour ne pas être dérangées comme elles continueront à le faire (faire semblant d’écouter de la musique, d’être au téléphone, ne pas sortir le soir seule,…). Je ne pense pas que cela fasse plaisir à une femme de ressentir qu’elle n’est pas traitée de la même façon qu’un homme, quel que soit le domaine, à cause de son sexe.
J’ai voulu alors trouver des réponses et j’ai lu le rapport annuel 2024 sur l’état des lieux du sexisme en France du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Les chiffres sont alarmants, le chemin va être long pour qu’une fille de treize ans puisse ne plus être traumatisée et le rapport montre que les stéréotypes se renforcent notamment chez les hommes.
Quelques chiffres :
· 92 % de la population considèrent que les femmes et les hommes ne sont pas traité·es de la même manière dans au moins une des sphères de la société.
· 86 % des femmes ont vécu une situation sexiste.
· 58 % déclarent qu’elles ont déjà renoncé à sortir faire des activités seules (+ 3 points) ;
· 9 femmes sur 10 ont déjà renoncé à des actions ou ont modifié leur comportement pour ne pas être victime de sexisme.
Et dans le même temps :
· 88 % des Français·es sont révolté·es qu’un homme gifle sa conjointe (+ 4 points),
· 60 % qu’une femme se fasse siffler dans la rue (+ 6 points), 62 % qu’un homme insiste pour avoir un rapport sexuel avec sa conjointe (+ 4 points) ;
· 36 % sont révolté·es qu’un homme commente la tenue vestimentaire d'une femme (+ 6 points), 31 % le sont du mansplaining (+ 6 points),
· 28 % le sont des blagues et remarques sexistes (+ 4 points).
Alors si les difficultés pour les femmes perdurent, mais quand même temps il y a une augmentation des idées antisexistes, pourquoi est-ce que cela perdure quand même ? A qui cela profite-t-il encore ? Pas à une adolescente de 13 ans qui ne souhaite désormais ne plus mettre de robe, qui va surement craindre d’être seule dans la rue. Pas à moi car se faire insulter gratuitement par un inconnu n’a rien de glorieux et n’est pas agréable du tout.
Le sexisme (et s’est montré dans ce rapport) montre que le sexisme commence à la maison, infuse et continue à l’école pour finir sur Internet. Je pense que comme dans beaucoup de cas, un enfant ne nait pas sexiste, il le devient. Un enfant est neutre à sa naissance, pas encore pétri de toutes idées préconçues. C’est parce que la société lui infuse des idées qu’il le devient.
A cause des genres que l’on perdure à maintenir à la maison, de la part des parents. D’ailleurs si désormais il est de plus en plus accepté qu’une petite fille joue avec des voitures, s’habille en pantalon ou en chevalier, l’idée qu’un petit garçon aime les paillettes, puisse se déguiser en princesse ou mette du rose reste quelque chose de très difficile à observer encore et surtout dans le domaine « public », loin des idées masculinistes qui plaisent de plus en plus auprès des plus jeunes. A cause de l’école qui contribue encore aujourd’hui à maintenir un certain sexisme dans ce qu’elle propose (ou pas) en cours, dans son fonctionnement. A cause d’Internet et de toute la violence, les images faussées et les concepts dangereux qui y circulent et qui ne vont jamais dans le sens su bien commun, mais sert seulement à glorifier des égos (majoritairement celui d’hommes) et à entretenir un certain pouvoir masculin.
En prenant un peu de hauteur, en faisant appel au bon sens, on peut se rendre compte que le sexisme perdure surtout parce que cela demande un effort commun, que l’on soit un homme ou une femme. C’est en tant que société que les grands soucis doivent être pensé. Parce que l’on pense trop souvent que « le voisin lui ne changera jamais, alors à quoi bon ? ». Parce que cela demande du courage aussi d’aller au-delà des lignes de cette société qui nous force encore à cocher des cases pour être validé par elle, de la volonté de penser à une échelle plus grande que sa situation personnelle. Parce que l’humain est fait de contradictions, parce que parfois cela est difficile pour de multiples raisons (qui sont aussi légitimes) de changer.
Oui, on ne va pas changer le monde, toi et moi. On peut y réfléchir déjà. Le refaire comme lorsqu’on avait 13 ans et qu’après tout, tout était possible (ou presque). Après tout, déjà y réfléchir, c’est déjà faire quelque chose non ?
Et j'ai parfois honte d'être aussi un homme
La beauté de la langue au service de l'ignoble. Bravo.